La complémentarité entre le Judo et le Jiu-jitsu brésilien

Approche tecnico-tactique


Suite au stage dirigé par Wolfgang Amoussou à Commercy qui traitait de la complémentarité entre Judo et Jiu-jitsu brésilien, nous vous proposons un article synthétique traçant les axes de travail prioritairement retenus par Wolfgang alimentés par quelques réflexions personnelles.

D'aucuns évoquent le Judo et le Jiu-jitsu brésilien comme des cousins. Le premier étant à la racine du second tandis que le Judo lui même, du strict point de vue technique, est une synthèse, une réorganisation et une intellectualisation de Jujutsu traditionnels japonais. En fait Jigoro Kano a porté son ambition beaucoup plus loin car il ne s'agissait pas simplement de tirer des Jujutsu qu'il avait étudié, la substantific moëlle, afin d'élaborer un style supérieur, « plus fort que les autres » (comme cherche à la faire le Jiu-jitsu Gracie), quand bien même le Judo s'est distingué et fait connaître par ses victoires sur les autres écoles de Jujutsu. Son objectif était de construire un art à valeur éducative visant à l'entraide et la prospérité mutuelle grâce à la compréhension de principes universels par une étude raisonnée du combat.

Le Judo a donc eu très tôt la volonté de s'exporter dans le Monde, alors même qu'il était encore considéré au Japon comme un Jujutsu parmi les autres.

C'est ainsi que Maeda, qui pratique le Judo au Kodokan depuis 1895 et a peut-être était influencé par l'incorporation du style « Fusen-Ryu » (spécialisé dans le sol) au Judo en 1900 ; arrive au Brésil et transmet son savoir aux Gracie. Voici pour les grandes lignes. Nous ne nous aventurerons pas plus loin au niveau historique, car il n'existe à notre sens, pas encore d'études très sérieuses sur l'histoire du Jiu-jitsu brésilien à l'instar du travail d'Histoire Culturelle effectué par Michel Brousse à propos du développement du Judo et du Jujitsu japonais en France.


Précisons à présent la vision de la pratique que nous entretenons à Commercy.

Il nous semble nécessaire de proposer une démarche à plus long terme, qui se situe dans une réunion du contenu technique des deux arts martiaux sous l'égide de l'approche éducative, philosophique et humaniste de Jigoro Kano.

Il est assez évident que le principe d'utilisation de l'énergie de Kano est complétement apparent dans les évolutions techniques du Jiu-jitsu brésilien quand bien même il n'y a pas été explicité et théorisé.


On peut lire beaucoup de débats sur la parenté entre les deux pratiques ou pire, la prétendue rivalité ; souvent du strict point de vue sportif, parfois dans une approche martial ou de self-defense. Mais c'est oublier ce qui était prioritaire pour Kano et devrait être le noeud de la réflexion : l'éducation de l'Homme à partir de principes universels : l'adaptation (ou l'adaptabilité), l'utilisation optimale de l'énergie, l'entraide, le respect... Comprendre par une approche corporelle des enjeux intellectuels fondamentaux de l'épanouissement personnel et de la vie en société. Ni plus, ni moins !

Les brésiliens parlent d' « arte suave » (art souple) pour le Jiu-jitsu, les français ont longtemps traduit par  « voie de la souplesse » le Judo. Le langage le prouve, la réunion doit s'opérer à ce niveau.

Concrètement elle implique une étude non limitante du sol (ne-waza) comme des projections (tachi-waza).


Les règlements sportifs constituent cependant un cadre de recherche intéressant car il sont porteurs d'une intense opposition et de contraintes qui à le fois mettent en évidence la permanence de principes et poussent à l'innovation, la création. Les règles détestables du Judo sportif actuel, largement considérées comme trop restrictives et étouffantes ont elles même induit le développement de nouvelles formes s'inspirant de principes de bases (les « kata-guruma » nouveaux utilisent les principes des sutemi et des otoshis).


Ainsi les axes techniques proposés se sont développés au regard d'interrogations sportives mutuelles et ont pour ambition d'être aussi bien valables en Jiu-jitsu brésilien qu'en Judo.



  1. Développer votre système d'attaque au sol


Il existe plusieurs points de départ pour développer un système d'attaque efficace au sol.

L'une des solutions les plus courante, intéressante en particulier pour les débutants et les judokas qui présentent des lacunes au sol est de travailler une garde assise ou sur le dos.

En jiu-jitsu brésilien on part souvent de la garde fermée qui est à la fois une position centrale et très fréquente.

En compétition de Judo on privilégiera les gardes ouvertes permettant d'attaquer rapidement là où en JJB, on peut se permettre de prendre le temps de construire.

Par la suite c'est une véritable toile composée de multiples gardes et positions qui s'articulent, s'enchaînent, se combinent, se feintent qui va devenir votre système d'attaque.


Le système d'attaque au sol de Wolfgang repose sur une forte maîtrise de la garde papillon.


  1. Développer votre demi-garde


En Judo, c'est la position au sol la plus sous-estimée (uniquement une forme de défense verrouillée) : elle mérite d'être repensée et exploitée. Faire évoluer votre approche en passant d'une stratégie d'attente en blocage ultra-défensif vers une stratégie d'attaque depuis cette position devrait vous permettre de surprendre de nombreux judokas qui ne connaissent pas et n'utilisent pas cette position.

 

En jiu-jitsu brésilien c'est une position de base qu'il faut absolument maîtriser car même si vous n'en faites pas votre garde principale, c'est un outil de transition indispensable. Elle présente le paradoxe -pas si rare que cela- d'être à la fois la garde où l'on peut subir le plus de pression physique de l'adversaire (du moins si on ne la maîtrise pas entièrement) tout en étant une des positions qui nécessite le plus grand relâchement.


Il est donc important d'en comprendre la posture pour pouvoir défendre efficacement puis attaquer. Nos conseils : tenez-vous sur le côté (évitez de vous faire plaquer sur le dos), collez-vous au maximum au partenaire, glissez-vous en dessous, et dominez son épaule par un contrôle en dessous du bras.


Voici trois attaques de base complémentaires et à faire interagir depuis la demi-garde :

- un renversement vers l'arrière.
- un renversement vers l'avant.
- une prise du dos finalisée en étranglement (hadaka-jime dit "mata leon").


  1. Repensez votre kumi-kata debout


Une des plus belles explications du kumi-kata est celle proposé par Hiroshi KATANISHI dans L'Esprit du Judo (n° 13, mars-avril 2008) à travers l'article intitulé « L'Art de poser les paumes ».

Il explique que le kumi-kata « c’est saisir pour exprimer ce que l’on sait faire » plutôt que pour limiter l'action du partenaire.

Wolfgang en pratiquant le jiu-jitsu brésilien a remarqué qu'il lui était difficile d'exprimer son Judo car les stratégies adverses refuser tout simplement la confrontation debout en allant chercher directement une garde au sol.

Il a donc développé une stratégie pour installer un kumi-kata classique de judoka lui permettant de projeter avant que son adversaire prenne une garde au sol. Derrière cela s'exprime une idée très importante de notre travail et de la réunion des deux pratiques : il est sans doute beaucoup plus facile de dominer quelqu'un au sol (au niveau spatial : avoir une meilleure position ; comme au niveau temporel : avoir un ou plusieurs temps d'avance) et très probablement de le soumettre, si l'on vient de le projeter efficacement.

Voici comment adapter votre kumi-kata (saisie) en jiu-jitsu brésilien, en particulier lorsque votre adversaire cherche à sauter pour prendre une garde fermée ou à attaquer vos jambes. Il se trouve que ce travail évoquant un jeu d'escrime, est particulièrement pertinent dans le contexte sportif très restrictif des compétitions de Judo actuelles où l'on ne peut faire lâcher à deux mains.

Gardez une posture droite, contrôlez la manche, décalez-vous fréquemment et maintenez la distance avec votre main au revers pour préparer vos attaques tout en sécurisant vos déplacements. Restez relâché, surtout au niveau des épaules et gardez une bonne flexibilité de vos bras. Essayez, d'avoir toujours un temps d'avance, de prendre l'initiative de l'action, donc de saisir en premier.

Cette approche est à mettre en relation avec le système d'attaque debout de Wolfgang en JJB, différent de celui qu'il utilise en Judo : il est centré sur les ashi-waza et les sutemis.


  1. Travailler systématiquement la liaison au sol qui suit la projection


La liaison au sol ne doit plus simplement faire l'objet de modules spécifiques de travail. La maîtrise d'une projection implique de la contrôler en restant debout : stabilisation, équilibration et sécurisation sont les maîtres mots. Il faut préserver cela. Mais cet impératif technique et esthétique à souvent conduit à l'erreur pédagogique de la décontextualisation de la liaison debout-sol quand elle n'est pas purement et simplement ignorée.

Elle doit être remise au coeur de l'enseignement, chaque projection reliée à ses continuités au sol. Ainsi lors de chacune de ses démonstrations, Wolfgang s'est appliqué à démontrer les possibilités d'enchaînement au sol.


  1. Privilégier les techniques arrières, en particulier les ashi-waza


Il est préférable en Jiu-jitsu brésilien de privilégier les projections vers l'arrière et en particulier les ashi-waza pour plusieurs raisons :
- la prise de risque est moins importante que pour les projections avant où l'on peut se faire prendre le dos en cas d'échec.
- les combattants de JJB font très souvent l'erreur d'être en déséquilibre arrière du fait de la recherche d'une garde au sol ou d'attaques aux jambes.
- il est facile d'enchaîner au sol vers une forte position à partir des ashi-waza.


Wolfgang nous a proposé ses deux attaques principales :ko-uchi-gari et o-uchi-gari. Il existe bien entendu d'autres possibilités : o-soto-gari, ko-soto-gari, les gake, les balayages...

Par ailleurs privilégier ne signifie pas négliger le reste du répertoire technique du Judo. De plus il faut savoir prendre des risques pour conclure une action. Ainsi Wolfgang tente parfois les seoi-nage à genoux qui exposent tellement à la prise du dos !


  1. Maîtriser les sutemis


Les sutemis constituent les techniques reines de l'entre-deux, de la liaison entre combat debout et sol. Elles illustrent par ailleurs, à l'instar des balayages, parfaitement le principe d'utilisation de l'énergie à la source du Judo. Ils doivent être particulièrement étudiés pour le judoka comme pour le jiu-jitsuka. On peut même les considérer comme un atout stratégique en compétition :
- le judoka dans un contexte JJB pourrait y voir un excellent complément aux ashi-waza pour assurer ses projections et une position dominante.
- le jiu-jitsuka dans un contexte Judo y verrait une arme dans le jeu debout tout comme un moyen d'enchaîner très rapidement au sol (garde ouverte, juji-gatame...).



Voici le yoko-tomoe-nagede Wolfgang puis la complémentarité de cette technique avec sumi-gaeshi.
Les sutemis sont également intéressants pour contrer les nombreuses tentatives d'attaques aux jambes que vous pourrez rencontrer comme par exemple face à morote-gari.



Conclusion :

Ces axes sont d'excellentes pistes proposées par Wolfgang mais elles ne constituent pas l'ensemble de la pratique. On peut citer au hasard : les passages de gardes, la gestion d'un partenaire debout lorsque l'on est au sol etc. Il nous semble que l'essentiel est de travailler beaucoup en restant ouvert, critique et en évitant de se restreindre.

De plus de nombreuses questions devraient être abordées pour être complet, par exemple :

- Quelle démarche d'enseignement adopter ? Cette question en contient elle même de nombreuses.
Kano considère que le socle de base constitue la pratique du randori et du kata. Oui mais quels katas ? En Judo le répertoire est riche mais ils sont encore à définir voir à inventer en JJB... De plus on peut même provoquer un peu : le katame-no-kata, kata du sol en Judo, est-il encore pertinent comparativement à l'inventivité brésilienne ?
Ou encore : comment gérer les deux systèmes de grades en parallèle ?


- Comment concilier la culture japonaise et la culture brésilienne dans notre pratique ? Observer un kimono de Judo et un kimono de Jiu-jitsu brésilien suffit à se rendre compte de la densité de la question, sans compter les implications éthiques, esthétiques, symboliques qu'il peut y avoir derrière cela...


- Ne serait-il pas intéressant de repenser les règlements sportifs : celui du JJB ne devrait-il pas s'inspirer du Judo et celui du Judo s'ouvrir un peu au JJB ?


Bref la pratique quotidienne reste encore le moyen le plus simple d'alimenter ces réflexions aussi riches que passionnantes. Alors au dojo !